En 2019 Oré sort du bois et après avoir fait sa connaissance en deux titres, elle nous dévoile aujourd'hui son premier EP.
Proche d'Odezenne dans leur façon de mixer ambiances électroniques et flow rappé, jamais très loin de Yelle dans ses intentions musicales et son amour pour la pop, elle pioche aussi ses influences dans l'énergie d'un Nougaro ou d'une Camille.
De son enfance pas si lointaine, elle garde une tendresse particulière pour les assemblages. Telle un enfant face à ses legos, elle pioche dans ce qu'elle affectionne pour nous offrir un univers qui n'appartient qu'à elle.
Mais prenez garde à son air sage d'évadée de la maternelle car derrière la douceur gronde l'orage, et c'est la tempête qui explose une fois le micro glissé entre ses mains.
Adepte, avec son comparse Bozeck, de la Musique Assistée par Ordinateur (MAO), Oré puise dans les machines toute l'humanité possible pour offrir un son éclatant à la diversité bienvenue, qui colle aux ambiances et aux émotions de chaque chanson. À ces pulsations électroniques elle ajoute des cuivres retentissants, mais aussi des percussions puissantes ou du marimba afin de renforcer le corps et l'âme de ses chansons.
Les mots ne sont pas en reste. La lauréate du FAIR 2019 ayant une affection particulière pour leur sonorité, elle les fait résonner les uns avec les autres, les malaxant pour en transformer le sens et leur faire dire ce que l'on n'attend pas. Si elle utilise toujours la première personne, ce n'est pas tant pour raconter sa propre vie que pour ajouter une empathie, un ressenti positif et prenant dans lequel chacun pourra se reconnaître. Utiliser l'universel pour atteindre l'intime, pour que chaque chanson puisse se répercuter au maximum dans l'esprit des gens.
L'aventure commence donc avec Agence Matrimoniale qui nous a fait rencontrer Oré. Fausse petite annonce amoureuse dans laquelle Oré parle avec tendresse de cette façon que chacun a de se vendre, voulant toujours montrer le meilleur de soi en occultant la plupart des défauts qui font pourtant toute l'humanité d'une personne. Le tout est saupoudré d'humour, d'une légèreté apparente et d'une pointe d'imagination que l'on retrouvera tout au long de son EP.
Ça tombe bien, c'est aussi le titre de la chanson suivante, Imagination, ode à l'enfance où Oré peint en bleu ce qu'on pourrait voir en noir. En prenant le point de vue de l'adulte, le titre ayant été écrit en pensant à ses petits frères et sœurs, Oré se fait à la fois narratrice et observatrice, créant un pont entre le monde des adultes et celui des enfants, qu'on voudrait croire séparés mais qui ne sont jamais vraiment éloignés quand entre en jeu l'imagination.
On avance et on retrouve 1000G. Référence à l'expérience de Milgram, autour de laquelle toute la chanson est construite. Oré se fait conteuse, se glissant dans le costume-cravate d'un homme face au monde du travail moderne, où l'on perd en humanité ce qu'on gagne en efficacité et en productivité. Elle analyse la soumission et la révolte face aux demandes pas toujours claires d'une figure d'autorité qui gère la vie de son personnage.
Et quand la hiérarchie devient trop pesante, quoi de mieux que de prendre des Vacances ? Le titre entraînant joue sur deux tableaux qui se nourrissent l'un et l'autre. D'abord un propos sociétal fort où le personnage de l'histoire rejette en bloc une société qui lui pèse de plus en plus. Le capitalisme, et sa course permanente au profit, en prend pour son grade. Des propos comme un miroir à 1000G mais ici la lumière est au bout du chemin. Car comme le dit Oré « toi et moi on part » alors on s'évade, on s'enfuit et on prend le recul nécessaire avec celui qu'on aime. Car si elle parle de la société, elle parle aussi d'amour. L'amour finalement, toujours présent dans la musique d'Oré - l'amour de sa famille, l'amour de soi et finalement l'amour de l'autre.
Pour finir le voyage direction l'Orétrip. Des problèmes d'égo, Oré ? Pas du tout, plutôt une manière de se présenter, d'amener les gens à elle et de détourner l'égotrip pour y apporter une bonne dose de distance et de second degré qui lui sont propres.
Qu'on se le dise, avec cette mise en bouche, Oré dévoile une cartographie de son monde réel et fantasmé, dans lequel l'évasion, l'imagination et la positivité sont érigés en rempart contre tout.
Elle se fait ainsi la représentante de son époque, dévoilant une pop moderne sans chapelle et sans codes auxquels se vouer, mais toujours à la recherche d'exploration et de nouveautés.
En 2019, Oré sort du bois – et ça va faire mal.
